Том 3. Публицистические произведения - Страница 13


К оглавлению

13

Voilà l’écueil sur lequel la réforme du seizième siècle est venue échouer. Telle est, n’en déplaise à la sagesse des docteurs de l’Occident, la véritable et la seule cause qui a fait dévier ce mouvement de la réforme — chrétien à son origine, jusqu’à la faire aboutir à la négation de l’autorité de l’Eglise et, par suite, du principe même de toute autorité. Et c’est par cette brèche, que le

Protestantisme a ouverte pour ainsi dire à son insu, que le principe anti-chrétien a fait plus tard irruption dans la société de l’Occident.

Ce résultat était inévitable, car le moi humain livré à lui-même est anti-chrétien par essence. La révolte, l’usurpation du moi ne datent pas assurément des trois derniers siècles, mais ce qui alors était nouveau, ce qui se produisait pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, c’était de voir cette révolte, cette usurpation élevées à la dignité d’un principe et s’exerçant à titre d’un droit essentiellement inhérent à la personnalité humaine.

II ne fallait pas moins que la venue au monde du Christianisme pour inspirer à l’homme des prétentions aussi altières, comme il ne fallait pas moins que la présence du souverain légitime pour rendre la révolte complète et l’usurpation flagrante.

Depuis ces trois derniers siècles la vie historique de l’Occident n’a donc été, et n’a pu être, qu’une guerre incessante, un assaut continuel livré à tout ce qu’il y avait d’éléments chrétiens dans la composition de l’ancienne société occidentale. Ce travail de démolition a été long, car avant de pouvoir s’attaquer aux institutions il avait fallu détruire ce qui en faisait le ciment: c’est-à-dire les croyances.

Ce qui fait de la première révolution française une date à jamais mémorable dans l’histoire du monde, c’est qu’elle a inauguré pour ainsi dire l’avènement de l’idée anti-chrétienne aux gouvernements de la société politique.

Que cette idée est le caractère propre et comme l’âme elle-même de la Révolution, il suffit, pour s’en convaincre, d’examiner quel est son dogme essentiel, — le dogme nouveau qu’elle a apporté au monde. C’est évidemment le dogme de la souveraineté du peuple. Or, qu’est-ce que la souveraineté du peuple, sinon celle du moi humain multiplié par le nombre — c’est-à-dire appuyé sur la force? Tout ce qui n’est pas ce principe n’est plus la révolution et ne saurait avoir qu’une valeur purement relative et contingente. Voilà pourquoi, soit dit en passant, rien n’est plus niais, ou plus perfide que d’attribuer aux institutions politiques que la Révolution a créées, une autre valeur que celle-là. Ce sont des machines de guerre admirablement appropriées à l’usage pour lequel elles ont été faites, mais qui en dehors de cette destination ne sauraient jamais, dans une société régulière, trouver d’emploi convenable.

La Révolution d’ailleurs a pris soin elle-même de ne nous laisser aucun doute sur sa véritable nature en formulant ainsi ses rapports vis-à-vis du christianisme: «l’Etat comme tel n’a point de religion». — Car tel est le Credo de l’Etat moderne.

Voilà, à vrai dire, la grande nouveauté que la Révolution a apportée au monde. Voilà son oeuvre propre, essentielle — un fait sans antécédents dans l’histoire des sociétés humaines.

C’était la première fois qu’une société politique acceptait pour la régir un Etat parfaitement étranger à toute sanction supérieure à l’homme; un Etat qui déclarait qu’il n’avait point d’âme ou que s’il en avait une, cette âme n’était point religieuse. — Car, qui ne sait que même dans l’antiquité païenne, dans tout ce monde de l’autre côté de la croix, placé sous l’empire de la tradition universelle que le paganisme a bien pu défigurer mais sans l’interrompre, — la cité, l’Etat, étaient avant tout une institution religieuse. C’était comme un fragment détaché de la tradition universelle qui en s’incarnant dans une société particulière se constituait comme un centre indépendant. C’était pour ainsi dire de la religion localisée, matérialisée.

Nous savons fort bien que cette prétendue neutralité en matière religieuse n’est pas une chose sérieuse de la part de la Révolution. Elle-même connaît trop bien la nature de son adversaire pour ne pas savoir que vis-à-vis de lui la neutralité est impossible: «Qui n’est pas pour moi est contre moi». En effet, pour offrir la neutralité au christianisme il faut déjà avoir cessé d’être chrétien. Le sophisme de la doctrine moderne échoue ici contre la nature toute-puissante des choses. Pour que cette prétendue neutralité eût un sens, pour qu’elle fût autre chose qu’un mensonge et un piège, il faudrait de toute nécessité que l’Etat moderne consentît à se dépouiller de tout caractère d’autorité morale, qu’il se résignât à n’être qu’une simple institution de police, un simple fait matériel, incapable par nature d’exprimer une idée morale quelconque. — Soutiendra-t-on sérieusement que la Révolution accepte pour l’Etat qu’elle a créé et qui la représente une condition semblable, non seulement humble, mais impossible?.. Elle l’accepte si peu que d’après sa doctrine bien connue elle ne fait dériver l’incompétence de la loi moderne en matière religieuse que de la conviction où elle est que la morale, dépouillée de toute sanction surnaturelle, suffit aux destinées de la société humaine. Cette proposition peut être vraie ou fausse, mais cette proposition, on l’avouera, est toute une doctrine, et, pour tout homme de bonne foi, une doctrine qui équivaut à la négation la plus complète de la vérité chrétienne.

Aussi, en dépit de cette prétendue incompétence et de sa neutralité constitutionnelle en matière de religion, nous voyons que partout où l’Etat moderne s’est établi, il n’a pas manqué de réclamer et d’exercer vis-à-vis de l’Eglise la même autorité et les mêmes droits que ceux qui avaient appartenu aux anciens pouvoirs. Ainsi en France, par exemple, dans ce pays de logique par excellence, la loi a beau déclarer que l’Etat comme tel n’a point de religion, celui-ci, dans ses rapports à l’égard de l’Eglise catholique, n’en persiste pas moins à se considérer comme l’héritier parfaitement légitime du Roi très chrétien, — du fils aîné de cette Eglise.

Rétablissons donc la vérité des faits. L’Etat moderne ne proscrit les religions d’Etat que parce qu’il a la sienne — et cette religion c’est la Révolution. Maintenant, pour en revenir à la question romaine, on comprendra sans peine la position impossible que l’on prétend faire à la Papauté en l’obligeant à accepter pour sa souveraineté temporelle les conditions de l’Etat moderne. La Papauté sait fort bien quelle est la nature du principe dont il relève. Elle le comprend d’instinct, la conscience chrétienne du prêtre dans le Pape l’en avertirait au besoin. Entre la Papauté et ce principe il n’y a point de transaction possible; car ici une transaction ne serait pas une pure concession de pouvoir, ce serait tout bonnement une apostasie. — Mais, dira-t-on, pourquoi le Pape n’accepterait-il pas les institutions sans le principe? — C’est encore là une des illusions de cette opinion soi-disant modérée, qui se croit éminemment raisonnable et qui n’est qu’inintelligente. Comme si des institutions pouvaient se séparer du principe qui les a créées et qui les fait vivre… Comme si le matériel d’institutions privées de leur âme était autre chose qu’un attirail mort et sans utilité — un véritable encombrement. D’ailleurs les institutions politiques ont toujours en définitive la signification que leur attribuent, non pas ceux qui les donnent, mais ceux qui les obtiennent — surtout quand ils vous les imposent.

Si le Pape n’eût été que prêtre, c’est-à-dire si la Papauté fût restée fidèle à son origine, la Révolution n’aurait eu aucune prise sur elle, car la persécution n’en est pas une. Mais c’est l’élément mortel et périssable qu’elle s’est identifié qui la rend maintenant accessible à ses coups. C’est là le gage que depuis des siècles la Papauté romaine a donné par avance à la Révolution.

Et c’est ici, comme nous l’avons dit, que la logique souveraine de l’action providentielle s’est manifestée avec éclat. De toutes les institutions que la Papauté a enfantées depuis sa séparation d’avec l’Eglise Orthodoxe, celle qui a le plus profondément marqué cette séparation, qui la le plus aggravée, le plus consolidée, c’est sans nul doute la souveraineté temporelle du Pape. Et c’est précisément contre cette institution que nous voyons la Papauté venir se heurter aujourd’hui.

Depuis longtemps assurément le monde n’avait rien eu de comparable au spectacle qu’a offert la malheureuse Italie pendant les derniers temps qui ont précédé ses nouveaux désastres. Depuis longtemps nulle situation, nul fait historique n’avaient eu cette physionomie étrange. Il arrive parfois que des individus à la veille de quelque grand malheur se trouvent, sans motif apparent, subitement pris d’un accès de gaieté frénétique, d’hilarité furieuse — eh bien, ici c’est un peuple tout entier qui a été tout à coup saisi d’un accès de cette nature. Et cette fièvre, ce délire s’est soutenu, s’est propagé pendant des mois. Il y a eu un moment où il avait enlacé comme d’une chaîne électrique toutes les classes, toutes les conditions de la société et ce délire si intense, si général, avait adopté pour mot d’ordre le nom d’un Pape!..

13