4. Les 4 Empires: Assyrie, Perse, Macédoine, Rome. A Constantin commence le 5-ième, l’Empire définitif, l’Empire chrétien.
5. On ne peut nier l’Empire chrétien sans nier l’Eglise chrétienne. L’un et l’autre sont corrélatifs. Dans les deux cas c’est nier la tradition.
6. L’Eglise, en consacrant l’Empire, se l’est associé — p<ar> cons<équen>t l’a rendu définitif.
De là vient que tout ce qui nie le Christianisme est souvent très puissant comme destruction, mais toujours nul comme organisation — parce que c’est une révolte contre l’Empire.
7. Mais cet Empire qui, en principe, est indéfectible a pu, en réalité, avoir ses défaillances, ses intermittences, ses éclipses.
8. Qu’est-ce que l’histoire de l’Occident commençant à Charlemagne et qui s’achève sous nos yeux?
C’est l’histoire de l’Empire usurpé.
9. Le Pape, en révolte contre l’Eglise universelle, a usurpé les droits de l’Empire qu’il a partagé, comme une dépouille, avec le soi-disant Empereur d’Occident.
10. De là ce qui arrive ordinairement entre complices. La longue lutte entre la Papauté de Rome, schismatique, et l’Empire d’Occident, usurpé, aboutissant, pour l’une, à la Réformation, c’est-à-d<ire> à la négation de l’Eglise, et pour l’autre à la Révolution, c’est-à-d<ire> à la négation de l’Empire.
Nous touchons à la Monarchie universelle, c’est-à-d<ire> au rétablissement de l’Empire légitime.
La Révolution de 1789 c’était la dissolution de l’Occident. Elle a détruit l’autonomie de l’Occident.
La Révolution a tué, en Occident, le Pouvoir intérieur, indigène, et l’a, par cons<é> qu<ent> assujetti à un Pouvoir étranger, extérieur. Car nulle société ne saurait vivre sans Pouvoir. Et voilà pourquoi toute société, qui ne peut le tirer de
ses propres entrailles, est condamnée, par l’instinct de sa conservation, à l’aller emprunter du dehors.
Napoléon a marqué la dernière tentative désespérée de l’Occident de se créer un Pouvoir indigène, elle a échoué nécessairement. Car on ne saurait tirer le Pouvoir du Principe Révolutionnaire. Or, Napoléon n’était pas et ne pouvait être autre chose.
Ainsi, depuis 1815, l’Empire de l’Occident n’est plus dans l’Occident. L’Empire s’est tout entier retiré et concentré là où de tout temps a été la tradition légitime de l’Empire. — L’année 1848 en a commencé l’inauguration définitive… Il faut toutefois qu’elle s’aide de deux grands faits qui sont en voie de s’accomplir.
Dans l’ordre temporel l’organisation de l’Empire Gréco-Slave. Dans l’ordre spirituel — la réunion des deux Eglises.
Le premier de ces faits a décidément commencé le jour où l’Autriche, pour sauver un simulacre d’existence, a eu recours à l’assistance de la Russie. Car une Autriche, sauvée par la Russie, est de toute nécessité une Autriche absorbée par la Russie (un peu plus tôt, <un peu> plus tard).
Or l’absorption de l’Autriche n’est pas seulement le complément nécessaire de la Russie comme Empire slave, c’est encore la soumission à celle-ci de l’Allemagne et de l’Italie, les deux pays d’Empire.
L’autre fait, prélude de la réunion des Eglises, c’est le Pape de Rome dépouillé de son pouvoir temporel.
13 septembre 1849
Au point où nous sommes parvenus, on peut sans trop de présomption entrevoir dans l’avenir deux grands faits providentiels qui doivent dans un temps donné venir clore pour l’Occident l’interrègne révolutionnaire des 3 derniers siècles et inaugurer pour l’Europe une ère nouvelle.
Ces deux faits sont ceux-ci:
1) la Constitution définitive du grand Empire Orthodoxe, de l’Empire légitime d’Orient — en un mot de la Russie à venir: — accomplie par l’absorption de l’Autriche et la reprise de Constantinople.
2) la Réunion des deux Eglises d’Orient et d’Occident.
Ces deux faits, à vrai dire, n’en forment qu’un seul qui peut se résumer ainsi:
Un Empereur orthodoxe à Constantinople, Maître et Protecteur de l’Italie et de Rome.
Un Pape orthodoxe à Rome, sujet de l’Empereur.
Je profite de l’autorisation que vous avez bien voulu me donner, pour vous soumettre quelques réflexions, qui se rattachent à l’objet de notre dernier entretien. Je n’ai assurément pas besoin de vous exprimer encore une fois ma sympathique adhésion à l’idée que vous avez eu la bonté de me communiquer et, dans le cas où on tenterait de la réaliser, de vous assurer de ma sérieuse bonne volonté de la servir de tous mes moyens. Mais c’est précisément pour être mieux à même de le faire que je crois devoir, avant toute chose, m’expliquer franchement vis-à-vis de vous sur ma manière d’envisager la question. Il ne s’agit pas ici, bien entendu, de faire une profession de foi politique. Ce serait une puérilité: de nos jours, en fait d’opinions politiques, tous les gens raisonnables sont à peu près du même avis; on ne diffère les uns des autres que par le plus ou le moins d’intelligence que l’on apporte à bien reconnaître ce qui est et à bien apprécier ce qui devrait être. C’est sur le plus ou le moins de vérité qui se trouve dans ces appréciations qu’il s’agirait avant tout de s’entendre. Car s’il est vrai (comme vous l’avez dit, mon prince) qu’un esprit pratique ne saurait vouloir dans une situation donnée que ce qui est réalisable en égard aux personnes, il est tout aussi vrai qu’il serait peu digne d’un esprit réellement pratique de vouloir une chose quelconque en dehors des conditions naturelles de son existence. Mais, venons au fait. S’il est une vérité, parmi beaucoup d’autres, qui soit sortie, entourée d’une grande évidence, de la sévère expérience des dernières années, c’est assurément celle-ci: il nous a été rudement prouvé qu’on ne saurait imposer aux intelligences une contrainte, une compression trop absolue, trop prolongée, sans qu’il en résulte des dommages graves pour l’organisme social tout entier. Il paraît que tout affaiblissement, toute diminution notable de la vie intellectuelle dans une société tourne nécessairement au profit des appétits matériels et des instincts sordidement égoïstes. Le Pouvoir lui-même n’échappe pas à la longue aux inconvénients d’un pareil régime. Un désert, un vide intellectuel immense se fait autour de la sphère où il réside, et la pensée dirigeante, ne trouvant en dehors d’elle-même ni contrôle, ni indication, ni un point d’appui quelconque, finit par se troubler et par s’affaisser sous son propre poids, avant même que de succomber sous la fatalité des événements. Heureusement, cette rude leçon n’a pas été perdue. Le sens droit et la nature bienveillante de l’Empereur régnant ont compris qu’il y avait lieu à se relâcher de la rigueur excessive du système précédent et à rendre aux intelligences l’air qui leur manquait…
Eh bien (je le dis avec une entière conviction), pour qui a suivi depuis lors dans son ensemble le travail des esprits, tel qu’il s’est produit dans le mouvement littéraire du pays, il est impossible de ne pas se féliciter des heureux effets de ce changement de système. Je ne me dissimule pas plus qu’un autre les côtés faibles et parfois même les écarts de la littérature du jour; mais il y a un mérite qu’on ne saurait lui refuser sans injustice, et ce mérite-là est bien réel: c’est que du jour où la liberté de la parole lui a été rendue dans une certaine mesure, elle c’est constamment appliquée à exprimer de son mieux et le plus fidèlement possible la pensée même du pays. A un sentiment très vif de la réalité contemporaine et à un talent souvent fort remarquable de la reproduire, elle a joint une sollicitude non moins vive pour tous les besoins réels, pour tous les intérêts, pour toutes les plaies de la société russe. Comme le pays lui-même, en fait d’améliorations à accomplir, elle ne s’est préoccupée que de celles qui étaient possibles, pratiques et clairement indiquées, sans se laisser envahir par l’utopie, cette maladie si éminemment littéraire. Si dans la guerre qu’elle a faite aux abus elle s’est laissée parfois entraîner à d’évidentes exagérations, on peut dire, en son honneur, que dans son zèle à
les combattre elle n’a jamais séparé dans sa pensée les intérêts de l’Autorité Suprême d’avec ceux du pays: tant elle était pénétrée de cette sérieuse et loyale conviction, que faire la guerre aux abus, c’était la faire aux ennemis personnels de l’Empereur… Souvent, de nos jours, pareils dehors de zèle ont, je le sais bien, recouvert de très mauvais sentiments et servi à dissimuler des tendances qui n’étaient rien moins que loyales; mais, grâce à l’expérience que les hommes de notre âge doivent avoir nécessairement acquise, rien de plus facile que de reconnaître, à la première vue, ces ruses du métier, et le faux dans ce genre ne trompe plus personne.
On peut affirmer qu’à l’heure qu’il est, en Russie il y a deux sentiments dominants et qui se retrouvent presque toujours étroitement associés l’un à l’autre: c’est l’irritation et le dégoût que soulève la persistance des abus, et une religieuse confiance dans les intentions pures, droites et bienveillantes du Souverain.