Et maintenant, pour sortir une bonne fois des généralités et pour serrer de plus près la situation du moment, permettez-moi, mon prince, de vous dire, avec toute la franchise d’une lettre entièrement confidentielle, que tant que le gouvernement chez nous n’aura pas, dans les habitudes de sa pensée, essentiellement modifié sa manière d’envisager les rapports de la presse vis-à-vis de lui, — tant qu’il n’aura pas, pour ainsi dire, coupé court à tout cela, rien de sérieux, rien de réellement efficace ne saurait être tenté avec quelque chance de succès; et l’espoir d’acquérir de l’ascendant sur les esprits, au moyen d’une presse ainsi administrée, ne serait jamais qu’une illusion.
Et cependant il faudrait avoir le courage d’envisager la question telle qu’elle est, telle que les circonstances l’ont faite. Il est impossible que le gouvernement ne se préoccupe très sérieusement d’un fait qui s’est produit depuis quelques années et qui tend à prendre des développements dont personne ne saurait dès à présent prévoir la portée et les conséquences. Vous comprenez, mon prince, que je veux parler de l’établissement des presses russes à l’étranger, hors de tout contrôle de notre gouvernement. Le fait assurément est grave, et très grave, et mérite la plus sérieuse attention. Il serait inutile de chercher à dissimuler les progrès déjà réalisés par cette propagande littéraire. Nous savons qu’à l’heure qu’il est la Russie est inondée de ces publications, qu’elles sont avidement recherchées, qu’elles passent de main en main, avec une grande facilité de circulation, et qu’elles ont déjà pénétré, sinon dans les masses qui ne lisent pas, au moins dans les couches très inférieures de la société. D’autre part, il faut bien s’avouer qu’à moins d’avoir recours à des mesures positivement vexatoires et tyranniques, il sera bien difficile d’entraver efficacement, soit l’importation et le débit de ces imprimés, soit l’envoi à l’étranger des manuscrits destinés à les alimenter. Eh bien, ayons le courage de reconnaître la vraie portée, la vraie signification de ce fait; c’est tout bonnement la suppression de la censure, mais la suppression de la censure au profit d’une influence mauvaise et ennemie; et pour être plus en mesure de la combattre, tâchons de nous rendre compte de ce qui fait sa force et de ce qui lui vaut ses succès.
Jusqu’à présent, en fait de presse russe à l’étranger, il ne peut, comme de raison, être question que du journal de Herzen. Quelle est donc la signification de Herzen pour la Russie? Qui le lit? Sont-ce par hasard ses utopies socialistes et ses menées révolutionnaires qui le recommandent à son attention? Mais parmi les hommes de quelque valeur intellectuelle qui le lisent, croit-on qu’il y en ait 2 sur 100 qui prennent au sérieux ses doctrines et ne les considèrent comme une monomanie plus ou moins involontaire, dont il s’est laissé envahir? Il m’a même été assuré, ces jours-ci, que des hommes qui s’intéressent à son succès l’avaient très sérieusement exhorté à rejeter loin de lui toute cette défroque révolutionnaire, pour ne pas affaiblir l’influence qu’ils voudraient voir acquise à son journal. Cela ne prouve-t-il pas que le journal de Herzen représente pour la Russie toute autre chose que les doctrines professées par l’éditeur? Or, comment se dissimuler que ce qui fait sa force et lui vaut son influence, c’est qu’il représente pour nous la discussion libre dans des conditions mauvaises (il est vrai), dans des conditions de haine et de partialité, mais assez libres néanmoins (pourquoi le nier?), pour admettre au concours d’autres opinions, plus réfléchies, plus modérées et quelques unes même décidément raisonnables. Et maintenant que nous nous sommes assuré où gît le secret de sa force et de son influence, nous ne serons pas en peine, de quelle nature sont les armes que nous devons employer pour le combattre. Il est évident que le journal qui accepterait une pareille mission ne pourrait rencontrer des chances de succès que dans des conditions d’existence quelque peu analogues à celles de son adversaire. C’est à vous, mon prince, de décider, dans votre bienveillante sagesse, si dans la situation donnée, et que vous connaissez mieux que moi, de pareilles conditions sont réalisables, et jusqu’à quel point elles le sont. Assurément ni les talents, ni le zèle, ni les convictions sincères ne manqueraient à cette publication; mais en accourant à l’appel qui leur serait adressé ils voudraient, avant toute chose, avoir la certitude qu’ils s’associent, non pas à une œuvre de police, mais à une œuvre de conscience; et c’est pourquoi ils se croiraient en droit de réclamer toute la mesure de liberté que suppose et nécessite une discussion vraiment sérieuse et efficace.
Voyez, mon prince, si les influences qui auraient présidé à l’établissement de ce journal et qui protégeraient son existence, s’entendraient à lui assurer la mesure de liberté dont il aurait besoin, si peut-être elles ne se persuaderaient pas que, par une sorte de reconnaissance pour le patronage qui lui serait accordé et par une sorte de déférence pour sa position privilégiée, le journal qu’ils considéreraient en partie comme le leur ne serait pas tenu à plus de réserve encore et à plus de discrétion que tous les autres journaux du pays.
Mais cette lettre est trop longue, et j’ai hâte de la finir. Permettez-moi seulement, mon prince, d’y ajouter en terminant ce peu de mots qui résument ma pensée tout entière. Le projet que vous avez eu la bonté de me communiquer me paraîtrait d’une réalisation, sinon facile, du moins possible, si toutes les opinions, toutes les convictions honnêtes et éclairées avaient le droit de se constituer librement et ouvertement en une milice intelligente et dévouée des inspirations personnelles de l’Empereur.
Recevez, etc.
Novembre, 1857
19 марта. В приложении к № 78 «Allg. Zeitung» от 18 марта я прочел статью о русской армии на Кавказе. Среди прочих странностей в ней есть одно место с таким приблизительно смыслом: «Русский солдат нередко напоминает французского каторжника, сосланного на галеры». Все остальное в статье по своему направлению является, в сущности, лишь развитием данного утверждения. Позволительно ли будет русскому высказать в связи с этим два замечания? Столь удивительные мысли пишутся и печатаются в Германии в 1844 году. Ну что ж, люди, уравниваемые подобным образом с галерными каторжниками, те же самые, что почти тридцать лет назад проливали реки крови на полях сражений своей родины, дабы добиться освобождения Германии, крови галерных каторжников, которая слилась в единый поток с кровью ваших отцов и ваших братьев, смыла позор Германии и восстановила ее независимость и честь. Таково мое первое замечание. Второе же следующее: если вам встретится ветеран наполеоновской армии, напомните ему его славное прошлое и спросите, кто среди всех противников, воевавших с ним на полях сражений Европы, был наиболее достоин уважения, кто после отдельных поражений сохранял гордый вид: можно поставить десять против одного, что он назовет вам русского солдата. Пройдитесь по департаментам Франции, где чужеземное вторжение оставило свой след в 1814 году, и спросите жителей этих провинций, какой солдат в отрядах неприятельских войск постоянно выказывал величайшую человечность, высочайшую дисциплину, наименьшую враждебность к мирным жителям, безоружным гражданам, — можно поставить сто против одного, что они назовут вам русского солдата. А если вам захочется узнать, кто был самым необузданным и самым хищным, — о, это уже не русский солдат. Вот те немногие замечания, которые я хотел высказать, говоря об упомянутой статье; я не требую, чтобы вы поделились ими со своими читателями. Эти и многие другие, с ними связанные думы, — о чем вам столь же хорошо известно, как и мне, — живут в Германии во всех сердцах, а посему они совсем не нуждаются в каком-либо месте в газете. В наши дни — благодаря прессе — нет более неприкосновенной тайны, названной французами тайной комедии; во всех странах, где царит свобода печати, пришли к тому, что никто не отваживается сказать про подлинную причину данного положения вещей то, что каждый об этом думает. Отсюда ясно, почему я лишь вполголоса раскрываю вам загадку о настроении умов в Германии по отношению к русским. После веков раздробленности и многих лет политической смерти немцы смогли вновь обрести свое национальное достоинство только благодаря великодушной помощи России; теперь они воображают, что неблагодарностью смогут укрепить его. Ах, они обманываются. Тем самым они только доказывают, что и сейчас все еще чувствуют свою слабость.